La Grammaire Inclusive

Transcription réécrite d’une conférence à Nantes, ScreenHunter 729au Festival des Utopiales 2019 . Version1.2, par Fabien et Audrey. La salle était noire de monde, nous avons eu envie de transcrire les débats.

Les intervenants qui s’exprimaient étaient : Ketty Steward, Sara Doke, Baptiste Beaulieu. La version audio est dispo sur ActuSF si besoin.

La Grammaire Inclusive  : code, langue ou fait de société ?

Il existe de multiples écritures inclusives et c’est une bonne chose. Partons du principe que nous sommes tous pour. Mais comment la comprendre, comment la langue peut-elle travailler sur les discriminations et inclure le maximum de personnes ?

“Ecriture épicène”, une définition :
Ensemble de règles et pratiques qui visent à éviter toutes discriminations supposées par le langage ou par l’écriture. On parle aussi d’écriture non sexiste, dé-genrée.

Dans les racines latines, il y a trois genres grammaticaux : le masculin, le féminin, et le neutre. Aux environs du XVIIe, on a enlevé le neutre ainsi qu’un certain nombre de noms de métiers féminins tel que doctoresse ou autrice. La volonté était d’écarter les femmes des métiers intellectuels. On passe alors du pluriel de proximité au masculin l’emporte.
Une volonté explicite de hiérarchiser les genres arrive à ce moment là, notamment avec la création de l’Académie française par Richelieu. « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », affirme l’abbé Bouhours en 1675. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complète en 1767 le grammairien Nicolas Beauzée.

Le féminin du mot « auteur »

Au 19e siècle l’autrice Marie-Louise Gagneur demande à L’Académie française de réintégrer le mot « autrice ». La réponse de l’académicien De Masarde est comme suit :

« Il y a des femmes de lettres comme il y a des hommes de lettres qui sont rentrés dans la confrérie. Veulent-elles maintenant des mots spéciaux ? Le féminin d’écrivain, de confrère, d’auteur ? Je ne peux pas me faire à cela. D’ailleurs la carrière d’écrivain est différente de celui d’une femme. Il n’y a pas de jeunes filles ou de femmes qui se destinent à la carrière d’écrivain. La femme devient écrivain sous l’influence de circonstances non prévues ni préparées. Ainsi lorsqu’elles ont du talent comme Madame Gagneur il ne me parait pas nécessaire pour ces exceptions de créer de nouveaux mots. »

Une autre réponse, de M. Le Conte de Lille :

« L’Académie française n’est pas chargée d’innover ou de créer des mots, mais de recueillir ceux qui font partie de la langue. À mon avis elle a déjà eu grand tort de supprimer des lettres dans des mots. Et je ne me suis toujours refusé à suivre cet usage. Quand Madame Gagneur invente des noms féminins, qu’elle les mette en circulation et les fasse adopter par d’autres écrivains et un jour peut venir où ces mots seront entrés dans le langage courant et l’Académie aura à les examiner. Il y a des mots identiques à ceux que Madame Gagneur réclame qui ont déjà leur équivalent féminin : receveur/receveuse, acteur/actrice. Il y en a d’autres quoique non encore classés, on en quelque sorte droit de citer (docteur/doctoresse). Mais il y en a d’autres qui seraient horribles (auteure/autrice/auteuse). »

À une certaine époque même les femmes hiérarchisaient ces termes. Lorsque l’on était écrivaine, c’était méprisable jusqu’à devenir UN auteur, comme s’il fallait passer au masculin pour devenir l’égal des hommes. Les débats sont ressortis d’ailleurs en 2017.

Les femmes et le monde médical

(Ndlr : Après retranscription et discussions, cette partie sur le monde médical ne fait pas l’unanimité… Information à prendre avec des pincettes ? )

Dans le monde médical, c’est encore compliqué puisque ce monde est encore en majorité composé d’hommes cis blancs de 50 ans… Ils pensent tout connaître de la femme parce qu’ils connaissent le fonctionnement de l’organe génital féminin. Ces médécins sauvent des femmes… et supposent donc savoir sauver LA femme. Ils se disent donc féministes, quand c’est loin d’être le cas.
Il y a donc beaucoup de débats dans le monde médical, venant surtout des nouveaux soignants. La formation médicale est sexiste de toute façon. Lors des études, les médecins travaillent surtout sur le corps masculin, alors que dans la vie d’un homme il ne se passe pas grand-chose d’un point de vue médical. Il n’y a que la puberté et l’andropause (symptômes physiologiques et psychologiques qui peuvent accompagner la baisse de testostérone chez l’homme vieillissant). Alors que dans une vie de femme il y a la puberté certes, mais aussi les regles, la grossesse, la préménopause, la ménopause…. Ainsi il serait plus intelligent de commencer par étudier le corps de la femme, plus complexe que celui de l’homme. « Qui peut le plus peut le moins ». Si on apprenait le corps féminin se serait plus simple de connaître le corps masculin par la suite.

De plus, on teste souvent les médicaments uniquement sur les hommes sous prétexte de « préserver les ovaires de la femme ». C’est aussi le cas pour les médicaments qui sont exclusivement à destination des femmes (douleurs de règles, endométriose…). Beaucoup de médicaments que l’on donnent aux femmes ne sont que pour les effets secondaires de médicaments pour soigner des maladies d’hommes (ex : médicament contre le cancer de la prostate est donné aux femmes car, en effet secondaire, il peut soigner l’endométriose).

L’endométriose est une maladie exclusivement féminine (pour les femmes cis) qui touche 1 femme sur 10. Une femme qui est touchée par l’endométriose, on lui a dit toute sa vie que ce n’était qu’une chochotte et que c’est normal d’avoir mal pendant ses règles. Pourtant si une maladie touchait 1 homme sur 10, ils seraient diagnostiqués beaucoup plus tôt et on en parlerait beaucoup plus.

La langue qui influence

On a arraché à une partie de l’humanité des mots pour se définir. Les mots permettent de comprendre. Être privé de mots, c’est comme être privé de manger. C’est être privé de pensées.
La récupération de mots existants et la création de nouveaux pronoms permettent à des personnes de trouver une manière de se représenter à l’intérieur de la langue. Grâce à la science-fiction au contraire, on crée des mots.
Il y a vraiment un « combat » entre ses partisans et ceux qui disent que l’écriture inclusive revient à « tuer Voltaire ». Des hommes, qui veulent garder leurs privilèges et qui s’aveuglent. Comment peut-on imaginer que raconter à un enfant que « le masculin l’emporte sur le féminin » ne va pas avoir un impact sur sa vision de la vie, du monde et de la société ? Quand on parle, on pense. Et on parle mal des filles et des femmes. Du féminin.

Les formes d’écriture inclusive

Les parenthèses excluent. Mettre le féminin entre parenthèses c’est comme mettre les femmes entre parenthèses. Inenvisageable dans une optique féministe.
Le point médian est une forme de langue écrite. Quand il se prononce, il se prononce en deux. Dans les papiers administratifs, c’est totalement faisable.. mais ce n’est que l’écrit. Ce n’est pas une forme d’écriture pour un roman. (Ndlr : Peut-être le fait d’avoir à imaginer deux formes du mot tout en lisant… On sort de l’imagination du contenu pour imaginer le contenant…) Le point médian est aussi un problème pour les dyslexiques ou des gens qui ont des problèmes de lecture. Problème qui se pose aussi dans le cas de la création de nouveaux pronoms (iel, ceulles…).
En dehors de l’écriture inclusive, il serait temps de penser différemment. Ce n’est pas la même chose de dire « Bonsoir à tous » et « Bonsoir à tous et à toutes » ou de féminiser totalement l’écriture. En science-fiction c’est totalement possible, il faut se souvenir qu’il existe des femmes et il faut en parler. C’est là que la SF va utiliser des pronoms inclusifs comme « ceulles » ou des pronoms neutres pour désigner des extraterrestres, pour désigner autrui, pour désigner des personnes non binaires… On le voit par exemple dans le livre « Provenance », dans la trilogie de L’Ancilaire, ou dans Les Archives de l’exode.
La féminisation de la langue est une solution intéressante.
La langue anglaise est moins genrée que le français, il est intéressant de voir que plus une langue est genrée plus les gens sont sexiste. Par exemple, l’essentiel des jurons français sont sexistes, racistes et/ou homophobes. C’est le cas de “ foutu ”, de “ niquer ” qu’on utilisent dans le langage courant. Comment imaginer que ce genre d’insulte n’inflencera pas notre vision du monde ?
Depuis la nuit des temps, la moitié de l’humanité pénètre l’autre moitié et au lieu d’en faire un signe de bienveillance on en a fait un signe de moquerie et de violence, visant à rabaisser la femme ou l’homosexuel. A la place de “ pénétrer” par exemple on pourrait utiliser le mot “ englober ”. Le mot « pénétré » donne à la femme ou à la personne pénétrée un rôle passif, quand ils sont loin de l’être. “Englober ” au contraire donne un aspect actif. On inverse le point de vue. Avec la langue, la personne pénétrée est perçue comme inférieure. Mais peut-être que cela inversera les rôles, et que dans deux cents ans on aura des insultes comme “ va te faire englober ” !

La Française

La collective Roberte La Rousse, composé de Anne Laforet et Cécile Babiole, travaille sur une langue appelée “la Française”, où les accords se font par défaut au féminin. Elles utilisent cette langue pour faire des performances. Elles présentent des performances comme Wikiféminia, où elles racontent l’histoire de l’informatique à travers les femmes. Quand on est spectateur de ces performances, on se concentre sur les règles durant une minute…puis on les oublie. On comprend très bien, on comprend même mieux. Ce n’est pas la même chose de parler de l’année mille neuf cent soixante-neuve ou de l’an mille neuf cent soixante-neuf. On ne sort pas indemne de ces prestations.

Tester le féminisme

Les valeurs féminines ou masculines ne sont pas naturelles, mais influencées par l’éducation stéréotypée de la société. On relie trop facilement biologie et social pour naturaliser les choses. Pourtant ce n’est pas la biologie qui dit que le masculin l’emporte !
Il faut aussi revoir les phases narratives pour éviter que les femmes ne soient là que pour faire avancer le héros, le mettre en valeur ou que en tant qu’élément romantique.
Un test important qui permet de voir si un texte est plus ou moins féministe est le test de Bechdel. Seulement 8 à 10 % des ouvrages passent ce test. Il pose 3 questions :
1. Y a-t-il au moins deux personnages féminins dans le livre ?
2. Est-ce qu’on a le nom et prénom de ces personnages ?
3. Est-ce que ces deux personnages parlent entre elles et d’autres choses que d’hommes ?
Il existe aussi ce genre de test sur d’autres sujets (handicap, personne racisée…). Le fait d’inclure des minorités dans les textes peut les aider à lire. A partir du moment où ils se sentent présents dans les livres ils seront plus concentrés et intéressés par la littérature.

La masculinité toxique a d’autres conséquences

La folie et la maladie mentale servent d’excuses pour la masculinité toxique. Par exemple, un homme qui enferme une femme pendant des années et la viole régulièrement, on va dire que c’est un fou, un malade mental. Pourtant la majorité des personnes ayant réellement une maladie mentale ne violent pas des femmes, et n’agressent pas de femmes…. Si la masculinité toxique existe, et si des hommes violent des femmes, c’est parce que la société l’encourage d’une certaine façon. En utilisant un mot incorrect, on excuse l’acte et on créer une représentation du monde qui est fausse.
Pour prendre l’exemple de Marc Dutroux, qui a demandé sa libération conditionnelle, beaucoup prennent l’excuse de la maladie mentale pour justifier ses actes. S’il est malade, il est différent de nous. Car pour la majorité de la population il est inconcevable que de tels actes soit issus d’injonctions de la société patriarcale et de situations de domination. Ils doivent donc automatiquement venir d’une maladie mentale.

Pour finir

Il y a énormément de manières différentes d’inclure.
Il y a de plus en plus de personnages féminins dans les livres aujourd’hui. L’écriture inclusive peut être remplacée par la féminisation grâce à l’augmentation du nombre de personnages féminins. Le féminisme c’est aussi l’inclusion, c’est inclure les personnes trans, non binaire, racisé… Catherine Dufour est connue pour avoir dit

« J’ai fini par me rendre compte que tout ce que je pensais naturel était féministe. Je dois donc être féministe. »

Ce sont des sujets difficiles. Les femmes plaisantent parfois à ce sujet, créant des tensions avec les hommes. Ils ne comprennent pas que les même femmes qui leur interdises l’humour sexiste, le pratiquent ensuite.
Didier Robin nomme cet humour « le détournement du stigmate ». Beaucoup de gays, s’insultent entre eux de « pd », les personnes noires s’appellent « négro » entres elles… L’insulte est ici utilisée pour « se faire le cuir », car on saît qu’on risque de la recevoir plus tard, de la part d’une personne beaucoup plus agressive. La menace et le danger réél encouru donnent « le droit » de plaisanter sur le sujet. Les personnes concernées par des discriminations ont le “ droit ” d’en rire, et elles seules… Ainsi les femmes ont effectivement le droit de faire des blagues sexistes… Les hommes, eux, doivent trouver d’autres sujets !
Même les jurons et les insultes doivent être renouvellés pour changer les mentalités. Utilisons d’autres mots que ceux du sexisme et de l’homophobie… Ne nous cachons pas sous des idées comme la culture ou la tradition. Il faut se rappeler qu’une langue est vivante. Elle évoluera si nous sommes là pour la nourrir, pour la faire évoluer.

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